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« Le choix d’Aya Nakamura pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024 soulève des enjeux politiques qui la dépassent »

« “The Voice” en direct de l’Elysée ». C’est ainsi que l’hebdomadaire L’Express décrit, le 29 février, Emmanuel Macron s’improvisant metteur en scène de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques 2024, le 26 juillet. Et révèle que la chanteuse Aya Nakamura serait pressentie pour y interpréter une chanson d’Edith Piaf. Sans même attendre confirmation, à peine la présence de l’artiste évoquée pour représenter le pays, une vague d’attaques de la part d’éditorialistes et de figures d’extrême droite déferle, des plateaux de télévision aux réseaux sociaux.
Karim Hammou et Marie Sonnette-Manouguian sont sociologues, spécialistes des musiques populaires et des industries culturelles. Ils ont codirigé et coécrit 40 ans de musique hip-hop en France (Presses de Sciences Po, 2022). Selon eux, il faut sortir d’une antinomie aux relents élitistes et racistes créée artificiellement entre Aya Nakamura et Edith Piaf, pour remettre l’enjeu de la communication présidentielle au centre de cette nouvelle polémique.
Marie Sonnette-Manouguian : On est obligés de replacer les critiques à l’encontre d’Aya Nakamura dans la manière dont les musiques hip-hop (rap et R’n’B en particulier) ont pu faire l’objet de polémiques lancées par la droite et l’extrême droite tout au long de leur histoire. Si Aya Nakamura a pu être perçue et médiatisée comme une rappeuse, alors qu’elle se définit d’abord comme une artiste pop, qui puise des inspirations variées du zouk au R’n’B, cela tient d’abord à une racialisation de ces courants musicaux, qui sont perçus comme non-blancs. Donc, par un syllogisme fallacieux, une chanteuse noire est souvent assimilée à une rappeuse.
Les critiques qu’elle reçoit rappellent par exemple celles émises à l’encontre du rappeur Youssoupha, lorsqu’une de ses chansons avait été choisie pour annoncer la composition de l’équipe de France à l’Euro 2021. Ces figures médiatiques à succès, racisées, sont régulièrement utilisées par la droite et l’extrême droite pour inscrire à l’agenda politique des débats réactionnaires qui dépassent largement les points de vue artistiques. Aya Nakamura n’est pas la première et ne sera certainement pas la dernière à subir ce traitement raciste et classiste de l’actualité musicale par une partie de la sphère politique et culturelle.
Karim Hammou : Il existe une surexposition aux critiques, voire au harcèlement numérique, des femmes et des personnes racisées sur les réseaux sociaux, que les commentaires sur Aya Nakamura illustrent de longue date. Pour comprendre sa trajectoire, il faut notamment prendre en compte la combinaison des enjeux de sexisme et de racisme qui ressortent de certains commentaires, parce que l’image publique d’Aya Nakamura est à l’intersection de ces rapports de pouvoir.
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